Evangélisation

Lettre à un athée sincère

L’humanité première n’était que primaire, et depuis, dites-vous, elle ne l’est plus. Difficile à ce stade de croire en une évolution du genre humain, à la ténébreuse lumière des quelques décades sanglantes et récentes dont nous sommes les immédiats héritiers.

Mais, place au dialogue. Vous niez l’adhésion à une quelconque vérité révélée. Est-ce la vérité ou la révélation, ou encore le mélange des deux qui heurte votre pensée ?
Vous partez du principe que pour croire, il a fallu délaisser notre raison. Il se pourrait qu’il ne s’agisse en l’occurrence que de votre raison, car la raison est libre et par définition, non conforme au dogme de la raison de l’autre. Nous aurions donc une raison autre qui ne diffère en rien de la logique et de la cohérence, et qui pourtant s’est mise à croire.
L’opposer, cette foi, à votre raison n’est pas l’opposer à la raison, mais à votre conception de la raison.
Merci d’y songer plus tard, quand vous aurez pris le temps d’imaginer qu’un autre que vous puisse posséder une raison digne de ce nom, même sans votre accord.

La réflexion associée à la logique sera subjectivement détournée en vous-même, quant à la logique, vous l’avez empruntée à d’autres, estimant qu’elle serait normative. Mais cette logique prisonnière de votre raison ne s’évalue que par vous, au risque de paraître illogique à d’autres qui, comme vous, raisonnent, selon leur logique autre, mais en rien moindre que la vôtre.

Vous avez décrété que la seule plausible liberté se devait d’être par réaction à la religion. Laissez-moi douter, si j’osais, de l’impartialité de votre liberté qui a besoin de s’opposer pour être.

Personne ne force à croire. Pourquoi forcer à ne pas croire ? Vous qui aimez la libre-pensée, laissez libre la foi de ceux qui, différemment de vous, pensent.

Votre hypothèse de l’inexistence de Dieu est attrayante et ne provoque pas chez nous la volonté d’affirmer ce dont vous doutez résolument. Qu’en est-il de vous, admettez-vous que l’on puisse vivre sa liberté de croire ?
Merci de préciser la multiplicité des athéismes, de sorte qu’en vous adressant la parole, nous ne sommes pas surpris d’une multiplicité de réactions diverses, comme vous l’êtes, divers, je crois… Avez-vous un point commun, un credo ?

Vous me touchez, l’ami, soucieux comme vous l’êtes de nos santés intellectuelles, penché sur nous, les croyants, avec tant de foi. Et dire que vous vous estimez animal sur le chemin des humains en devenir. Vous aviez en outre le souci de notre épanouissement.

Vos pères furent nombreux : Leucippe, Démocrite, Aristippe, Diogène, Epicure, Lucrèce, Horace et Pythagore. Sans oublier l’éléate Parménide, Marc Aurèle et Sénèque, et, plus proches de nous, les éclairés du XVIIIe siècle.
Quant au Marquis de Sade, l’élève malheureux des Jésuites à Paris, quant à Marx, le célèbre inventeur du communisme qui prônait la lutte des classes, ils figurent, ces grands, dans nos livres d’histoire. Ils vous ont légué, je crois, une libre-pensée. Pourtant, en vous lisant, j’ai parfois le sentiment incrédule qu’ils ont incarcéré la vôtre.

Cher athée sincère, vous lire est un plaisir. Mais supporterez-vous la contradiction ? Celle d’abord que vous suscitez en établissant à partir de vous-même un critère avéré pour déterminer si Dieu existe ou pas à partir de votre dégoût de la bassesse humaine.
Vous allez jusqu’à éviter le péché d’orgueil qui consisterait à croire. Dans votre bouche, le mot péché prend un allure altière.
Vous êtes sans dieu, dites-vous. Et je vous crois. Du moins, je vous crois sincère. Mais quelle définition donnerez-vous à ce dieu sans lequel vous êtes ?

Vous démontrez une rare humilité, n’osant espérer que Dieu puisse créer un être aussi bas, aussi peu haut que vous. En ce sens, vous dites que Dieu étant bien plus éminent, ne condescendrait pas à s’abaisser à vous et à nous créer.
N’est-ce pas loin de l’humilité que de s’imaginer le critère de ce qui est, serait, sera, ou n’est pas ? Mais l’humilité n’a que faire dans l’incrédule pensée d’un philosophe éclairé. Car il semblerait qu’ils le soient tous, éclairés, au moins les uns par les autres, quand ils ne se font pas de l’ombre.

Les partisans de la philosophie classent celle-ci au-dessus des textes, comme si la philosophie se passait des textes. Elle a mesuré à juste titre la menace qui pèse sur l’intelligence orpheline de son sens.
Je sais, pour vous, croire, c’est une déficience du cerveau, ou encore même, une absence de cerveau. Friedrich Nietzsche était persuadé que la foi pourchassait le but de faire sentir à l’homme son péché.

Je sais, vous êtes un homme libre, et certainement pas quelqu’un qu’on enchaîne avec les dogmes et les préceptes, ennemis selon vous de l’amélioration. Ces barreaux du clergé, ces guerres inutiles inspirées par l’absolu dévastateur de la foi, vous n’en voulez pas. Vous vivez sans œillères conscient de votre intelligence. Alors en refusant Dieu et les divinités, vous bannissez la crainte, utile cependant pour éviter de se brûler quand on sait que le feu consume. Ainsi vous libérez-vous par l’audace de la peur qui ne cède même pas à votre audace vide. Car l’audace de ne pas croire n’est en rien supérieure à celle de croire.

François-Marie Arouet, dit Voltaire, proposait d’inventer Dieu au cas où il n’existerait pas. Il paraît que l’athéisme fait preuve d’intelligence. Un peu comme si le crédule est forcément dégénéré. Euclide prétendait que ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve.
Naïvement sans doute, je me suis hasardé à demander à mon ami athée une preuve que Dieu n’existait pas. Je lui ai cité le célèbre mot de Voltaire : « L’univers m’embarrasse et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait point d’horloger. »

Vous êtes outré que l’on fasse usage d’un être en qui vous ne croyez pas pour dire, faire ou penser. Cette foi agaçante fondée sur l’hypothèse énigmatique et insistante de l’autre rend inutile le dialogue. Votre refus vous identifie. Vous n’en voulez simplement pas, de cet inconnu imposé qui selon vous n’est qu’une fiction, au mieux, une supposition. Le doute l’emporte sur tout et vous installe dans la dérision que vous brandissez pour encadrer la réalité.

L’absence de preuve vous hante. Suffirait-elle d’ailleurs, la preuve pour vous convaincre ou vaincre.
Après avoir brandi la réalité, voilà la connaissance qui prône l’évidence du progrès. Pour combattre le rêve, le progrès s’affirme, évidemment progrès de l’homme, capable de casser le hasard.
« Cet asile de l’ignorance » dont parlait Spinoza, cette résignation, c’est selon vous la foi.
Nul n’est besoin d’accabler la raison. Elle nous est si précieuse.
Pourquoi en faites-vous l’adversaire de Dieu ? C’est à vous que je m’adresse, disposé que l’on se parle et prêt à faire avec votre raison le chemin du dialogue.

Ludwig Feuerbach estimait que l’homme a pour seul Dieu lui-même, qu’il est son propre Dieu.
Vous reprochez l’imaginaire, outil de l’invention d’un Dieu chimérique, fictif, fabriqué, un Dieu mental.
La référence à l’écrit est comble de l’erreur, une atteinte à votre intellection. Vos écrits par contre submergent et vous admettez sans doute qu’ils constituent aussi une référence. Mais vous la voulez sobre, la vôtre, humaine, humble et sagace.
La conformité à la raison vous rassure. Diderot considérait foi et raison deux incompatibles et contradictoires présents.

Ma première remarque est que vous, l’athée, n’avez pas le monopole de la raison. Celui de la connaissance, des arts, de la science et des progrès ne vous revient d’ailleurs pas de droit. Comme nous, les croyants, vous souffrez ou bénéficiez de cette marche des mortels vers un mieux-être supposé de tous.

Ma seconde remarque touche l’ensemble de vos présupposés. Si la foi n’est pas issue de la raison, c’est qu’elle est de nature autre. Ne serait-ce pas faire acte de raison que d’en accepter l’évidence ?

Enfin, et pour conclure avec une note d’humour, vous n’auriez plus de raisons de vous définir athée si nous, les croyants, nous cessions d’exister.

Que seriez-vous alors ?

Mickaël Berreby

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